Tchad, vaste pays au cœur de l’Afrique, est trop souvent réduit à des clichés simplistes (pays pauvre, pays en guerre). Pourtant, il a joué un rôle considérable dans la stabilité régionale. Nous vivons un grand moment de bascule de l’ordre mondial, ce qui offre une occasion en or pour le Tchad de concrétiser son ambition de devenir une puissance régionale.
Le XXe siècle fut marqué par la rivalité américano-soviétique ; le nôtre sera dominé par la confrontation technologique et militaire entre les États-Unis et la Chine. En cette période de repositionnement stratégique, il n’est dans l’intérêt ni de l’Afrique ni du Tchad de se ranger derrière un camp. Au contraire, nous devons choisir en fonction des sujets, en entretenant de bonnes relations avec les deux puissances. Ne nous fâchons ni avec l’une ni avec l’autre ; tirons plutôt avantage de leur rivalité.
En réalité, l’acte de décès de l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale a été signé depuis bien longtemps. L’émergence de nouvelles puissances telles que la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie et l’Iran rend nécessaire une reconfiguration de cet ordre. En d’autres termes, l’hégémonie occidentale ne se justifie plus face à un Sud global qui revendique sa place au soleil. Ce Sud global n’est pas uni par une convergence de valeurs ou d’intérêts, mais par une aspiration commune : construire un monde multipolaire. Cette volonté est clairement exprimée par la Chine et la Russie. Rappelons les propos du président chinois Xi Jinping lors de sa visite d’État à Moscou en mars 2023 : « Nous assistons actuellement à des changements que nous n’avons pas connus depuis 100 ans. Et c’est nous qui conduisons ces changements ensemble. »
L’Afrique, longtemps ignorée, cherche aujourd’hui sa place dans ce bouleversement géopolitique. Dans cette reconfiguration vers un monde véritablement multipolaire, le Tchad se positionne comme un acteur déterminé à tracer sa propre voie. Face aux défis internes – modernisation du système éducatif, réforme de la gouvernance, enjeux sécuritaires – et dans un environnement géopolitique instable, le pays doit transformer ses difficultés en opportunités afin de jouer pleinement son rôle de puissance régionale. Cet article explore les réformes nécessaires à cet effet.
Pour une réforme structurelle de la gouvernance interne
Tout pays qui désire briller sur la scène internationale doit d’abord projeter une image positive auprès de sa propre population. Pour définir ce qu’est ou ce que doit être le Tchad, il est essentiel que ses citoyens puissent participer librement aux débats politiques. Cette participation citoyenne devrait commencer dès le plus jeune âge, notamment à travers l’éducation nationale. Comme l’a si bien dit Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. »
Nous avons beaucoup à dire sur l’éducation nationale au Tchad, mais insistons sur un point crucial : elle peine à promouvoir l’excellence. En effet, les conditions matérielles actuelles ne permettent pas d’avoir un système éducatif à la hauteur des défis de notre époque. Des professeurs sous-payés, souvent non rémunérés, entraînent des grèves incessantes, bien que légitimes. De plus, certains enseignants ne sont pas à la hauteur de leur mission. Le nombre trop élevé d’élèves par classe – parfois jusqu’à cent dans les établissements publics et une cinquantaine dans les écoles privées – aggrave encore la situation. Dans de telles conditions, osons le dire, l’éducation devient une mascarade.
Pour garantir une éducation de qualité, il est impératif de mettre l’accent sur une formation exigeante des enseignants, une pédagogie fondée sur des standards internationaux et une réduction drastique du nombre d’élèves par classe. L’État doit investir davantage dans l’éducation en augmentant le nombre d’infrastructures scolaires. Une réduction de la taille des classes améliorerait les conditions de travail des enseignants et permettrait un meilleur apprentissage pour les élèves.
Ensuite, il est nécessaire de favoriser une gouvernance plus démocratique, garantissant un accès équitable à la gestion des affaires publiques. La démocratie est le seul gage d’une vie politique apaisée et exempte de violence. En réalité, lorsqu’on interroge le Tchadien lambda, sa préoccupation première est de vivre en paix. Pour cela, les hommes politiques doivent cultiver une culture du compromis et du dialogue afin de construire ensemble un Tchad meilleur.
Enfin, avant de se positionner sur la scène régionale et internationale, le Tchad doit également résoudre ses problèmes sécuritaires, notamment la menace terroriste dans la région du lac Tchad.
La nécessité de lutter contre le terrorisme par une politique sociale ambitieuse
Aucun État n’a réussi à lutter efficacement contre le terrorisme en se reposant uniquement sur des moyens militaires. Le terrorisme prospère avant tout dans les régions où l’État est absent, où les services publics font défaut et où la pauvreté est extrême. En d’autres termes, les groupes terroristes comblent le vide laissé par l’État en proposant une alternative aux populations locales, instaurant parfois une justice parallèle là où l’autorité publique est défaillante.
Pour résoudre la crise dans la région du lac Tchad, il est évident que les moyens militaires ont montré leurs limites. Bien que l’État tchadien inflige souvent des pertes importantes à ces groupes, ceux-ci continuent de prospérer et sont loin d’être éradiqués. Il est donc crucial d’investir dans les territoires libérés du joug terroriste en construisant des écoles, des hôpitaux, en facilitant la réinsertion professionnelle des repentis et en créant des emplois pour la jeunesse.
Nous ne saurions trop insister sur ce point : la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir à justifier la répression des opposants politiques ni la violation des droits fondamentaux. Renoncer à ces valeurs reviendrait à accorder une victoire inespérée aux terroristes.
Une guerre, quelle qu’elle soit, sans un but politique clair, ne sert strictement à rien. Nous encourageons vivement le gouvernement tchadien à prendre en compte cette dimension essentielle dans sa lutte contre le terrorisme.
Le Tchad dans un environnement géopolitique instable
Le pays est entouré d’États instables, certains en proie à des guerres civiles (comme le Soudan ou la Libye), d’autres gangrenés par le terrorisme transnational. De plus, la bande Sahélo-saharienne est le théâtre de divers trafics (drogues, armes, contrebande, trafic d’êtres humains).
Ce contexte complique l’ambition du Tchad de s’affirmer comme une puissance régionale. Cette ambition, renforcée après la chute de la Libye de Kadhafi, s’est manifestée notamment par l’intervention militaire au Mali en 2013 aux côtés des forces françaises. L’objectif était de prévenir la menace terroriste en la combattant à l’extérieur avant qu’elle ne gagne le territoire tchadien, mais aussi d’assumer un rôle de gendarme de l’Afrique.
Aujourd’hui, le Tchad clôt le chapitre de sa transition militaire avec l’organisation des élections présidentielle, législative et sénatoriale, et ouvre une nouvelle ère politique. Les Tchadiens n’attendent qu’une chose : l’opportunité de servir leur nation avec exigence, bravoure et patriotisme. Les défis qui nous attendent sont immenses.
Par : Macki Abderazikh Oumar, étudiant en Master Droit public à l’Université de Lille