• 5 juin 2025
  • N'Djamena

Airtel Tchad et Moov Africa : de nouveaux esclavagistes ?

Airtel Tchad et Moov Africa : de nouveaux esclavagistes ?

Ils sont jeunes, parfois diplômés, souvent sans emploi. Exposés au soleil ardent, aux intempéries et à la précarité, ils vendent des crédits téléphoniques au bord des routes de N’Djamena et des grandes villes du pays. Derrière cette image familière, presque banale, se cache une réalité bien plus sombre : celle d’une jeunesse tchadienne exploitée par deux géants des télécommunications, Airtel Tchad et Moov Africa.

Depuis plusieurs années, ces opérateurs se livrent une guerre commerciale acharnée. À coups de promotions, d’innovations technologiques et d’extensions de leur couverture réseau, ils revendiquent une connectivité nationale inédite. Mais ces réussites masquent un revers de médaille préoccupant : la situation des jeunes agents et revendeurs de crédits, souvent livrés à eux-mêmes. Les revendeurs de crédits semblent être de la chair à milliards pour les opérateurs. Ils ne savent plus à quel saint se vouer. Abandonner ou supporter devient un choix cornélien pour ces jeunes. Sur le terrain, un mot revient avec insistance dans les témoignages : exploitation. Ces jeunes, qualifiés d’« agents » ou de « revendeurs », dénoncent des conditions de travail précaires. Sans contrat formel, sans couverture sociale ni assurance maladie, ils investissent leurs propres fonds pour acheter les crédits à revendre, s’exposant à d’importants risques financiers : vols, erreurs de transfert, méventes, fraudes. L’essor des services de transfert d’argent mobile Airtel Money et Moov Money a accentué leur vulnérabilité. Présentés comme des outils modernes d’inclusion financière, ces services ont surtout transféré encore plus de responsabilités aux agents, sans contrepartie suffisante en formation, en outils de gestion ou en sécurité des opérations.

Les chiffres d’affaires de ces deux entreprises sont en constante progression, portés par une clientèle toujours plus connectée. Mais sur le terrain, les jeunes vendeurs , maillons indispensables de cette chaîne peinent à survivre. Le contraste est frappant : d’un côté, des stratégies marketing bien huilées ; de l’autre, une jeunesse désillusionnée, confrontée au silence des autorités et à l’absence de filets sociaux. Les promesses initiales de développement et d’emploi, brandies lors du lancement de ces services, peinent à se concrétiser. Le secteur de la téléphonie mobile reste l’un des moins inclusifs au Tchad. Alors même que les téléphones portables atteignent les zones les plus reculées, les jeunes censés être au cœur de cette révolution numérique en demeurent les laissés-pour-compte. Il est temps que l’État assume pleinement son rôle de régulateur. Face à ces dérives, le silence ne peut plus durer. Des mesures claires doivent être prises : encadrement juridique des agents, reconnaissance de leurs droits, imposition d’une responsabilité sociale réelle aux opérateurs. Le développement numérique ne doit pas se faire au détriment de la dignité humaine.

Enfin, chez Airtel et Moov, le progrès semble rimer avec précarité et indifférence. Sous les antennes neuves, la misère suce l’énergie de la jeunesse tchadienne. À force de connecter le pays, ils ont déconnecté l’essentiel : la dignité humaine. Le Tchad ne se bâtira jamais sur les ruines de sa jeunesse exploitée par les géants esclavagistes modernes. Offrir le réseau ne suffit pas encore faut-il respecter ceux qui, chaque jour, en sont les piliers invisibles.

Yohane Djimet Djibrine